COVID MODE D’EMPLOI

Patricia Morel – avril 2021

Depuis quelques jours, nous voici dans un troisième confinement. Je vois des personnes fatiguées, lassées, en difficulté. Je me questionne régulièrement pour savoir quel serait le meilleur mode d’emploi pour cette crise.

Je reprendrais quelques auteurs qui se sont emparés de la pensée pour introduire ce propos :

Georges Bernados, dit « on ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas tout d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure »

Dans la « barbarie des gens ordinaires », Daniel Zagury nous explique comment certains criminels sont incapables de penser la haine, ils l’agissent.

Dans son livre, il explique : « la carence de la pensée, qui ne permet pas de tempérer, de différer, d’entrevoir que l’autre ne se confond pas nécessairement avec l’ennemi ». Pour lui, “les amputés de la pensée et les imbéciles de la barbarie sont bien plus nombreux que les génies du mal » et explique que c’est la désubjectivation de l’individu qui bascule dans l’automatisme gestuel. Il s’inspire de la pensée et de la formidable intuition d’Hannah Arendt : « le mal s’inscrit dans le vide de la pensée ».

Boris Cyrulnik, médecin et psychiatre, sur France Inter : « maintenant on va être obligé de changer, de Repenser toute la civilisation »

Il faut croire que cette crise sanitaire en nous confinant nous oblige à nous connecter à notre vie intérieure. Notre intériorité, notre espace psychique.

Nous sommes condamnés à penser un peu plus, pour certains, ce temps a été vécu comme le ralentissement tant espéré qu’ils attendaient, pour d’autres ce temps représente la plus grande violence de leur vie ! Nous sommes donc un peu obligés de penser ! Mais comment veiller  sur la qualité de notre pensée face à cette lassitude aujourd’hui ?

Aujourd’hui nous habitons dans un monde où se produisent des évènements pas, ou peu pensés mais analysés sur le vif et en direct : nous sommes en pleine crise. Cette crise est pensée par certains : politologues, sociologues, philosophes, psy de tout genre, hommes, femmes, et enfants. Mais nous n’avons aucun recul.

Aujourd’hui nous pouvons dire rétrospectivement des crises déjà traversées ce qu’elles ont été, ce qu’elles ont produit et leurs conséquences sur nos sociétés. Aujourd’hui, nous sommes dans une crise sanitaire, sociale, humaine et économique sans précédent. « Inédite » nous répétait sans cesse l’actualité ! Séisme social !

Il nous faut trouver une manière de faire, de vivre, d’être, d’exister face à cette crise sanitaire incroyablement inédite.

Mars 2021, troisième confinement et couvre-feu à 18h ! Le moral des patients et de certaines personnes de mon entourage est au plus bas ! Que faire ?

Je vois des personnes qui n’ont pratiquement vu personne depuis presque un an, des personnes qui sont seules ou éloignées d’une famille à l’étranger.

Je cherche tous les jours comment réagir au mieux face à cette crise !

Voilà ce que je comprends :

J’entends tous les jours, des patients me dire : « lorsque cela sera terminé, lorsque l’on aura retrouvé le monde d’avant »

« Allons-nous RE-trouver le monde d’avant ? »

Je ne sais pas, je crois que jamais plus cela sera comme avant !

Nous sommes désormais dans le monde de l’incertitude, de la non-planification, du jour le jour, du « je ne sais pas quand ?  »  de l’inconnu et surtout celui de la non maîtrise.

Voilà ce que les politiciens de tous les pays nous disent : « on maitrise ». Voilà ceux que les si nombreux détracteurs disent « vous auriez dû faire comme cela ou comme ceci, ce n’est pas bon, ça ne va pas… »

Sauf que personne ne sait vraiment comment faire, comme on ne savait pas lorsque l’année dernière à cette même époque on découvrait ce virus et comment survivre !

Alors il faut changer de posture, de paradigme !

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Je crois qu’il apparaît plus que jamais nécessaire d’accepter cette incertitude et de se dire qu’il faut inventer une autre façon de vivre et de planifier nos vies.

Il faut accepter que cela ne soit plus jamais comme avant ! Après coup, il est possible que nous pensions que tout soit comme avant. Je crois que ce sera une illusion ! On a vu après le premier déconfinement les bars et les restaurants se remplir, et c’est à la fois normal et à la fois violent.

Ce qui est normal car on a besoin un peu d’oublier, l’instinct de vie : l’insouciance reprend ses droits. Violent, car le risque était potentiellement toujours là. Quels sentiments contradictoires nous envahissent.

La vie d’avant ? Oui on pourra y croire, l’homme est très fort pour cela ! Oui nous allons certainement retrouver les terrasses, les bars, les restaurants… Mais est ce que tout redeviendra comme avant ?


Quand est-il des embrassades, du télétravail, des masques, des virus mutants, de notre rapport à l’autre, qu’en est-il ?

Edgar Morin dans son interview sur France Culture du 1 janvier 21, nous dit « il faut que l’on apprenne à vivre avec l’incertitude » il espère que les forces « créatives et lucides » vont s’imposer face à la crise du COVID 19.  Il estime qu’il faut apprendre à vivre avec l’inconnu, à « surmonter les crises », plutôt que de s’indigner !

Alejandro Jodorowsky nous dit  « maintenant que nous sommes menacés de mort, quelle merveille !». C’est comme s’il entendait que nous allons être plus humble, plus lucide, moins mous !

Ce qui est extraordinaire c’est que le monde de maintenant est à inventer :

  • Je vois les « digitals nomads », ce sont des personnes qui s’installent dans un endroit merveilleux et qui télétravaillent !
  • Je vois cette jeune femme tellement extraordinaire, gérante d’une cave parisienne du 11ième qui va livrer l’apéro chez les gens suite au couvre-feu. Elle prépare des petits textes sur les mets savoureux sur les bouteilles qu’elle fait partager ! un moment de poésie.
  • Je vois ce restaurateur parisien, mon voisin, qui a ramené un saloir des Etats Unis, qui se lève à 5h du matin pour fumer ses produits, qui propose du click and collect, et qui me dit : « il ne faut pas se plaindre, il faut s’adapter, on a la chance d’être en vie».
  • Je vois ces personnes qui en ce moment changent de travail juste pour s’adapter à cette période. Comment ce restaurateur devient ouvrier du bâtiment, comment ce vendeur se convertit au service à la personne
  • Je vois ce réalisateur Pedro Almodovar qui nous accompagnait à travers son journal «El Diario » du confinement qui nous donne des conseils sur les livres à lire, les films à voir. Il écrit son scénario, sa version de la voix humaine de Jean Cocteau, interprétée par la magnifique actrice Tilda Swinton…
  • Et je vois aussi des personnes qui tombent, qui décompensent, qui sont épuisés, qui en ont ras le bol, qui n’en peuvent plus…

Au travers de mon expérience, de ma pratique, de mes lectures, de mes échanges, de mes consultations,  je distingue plusieurs points fondamentaux sur lesquels je porte une attention particulière:

  1. Le lien, la force du lien amical, familial, social, amoureux, et/ou de voisinage
  2. La créativité, l’imagination, l’humour, la beauté
  3. Le corps en mouvement, la nature
  4. La nécessité de se donner des petits objectifs

1 – Le lien : savoir entretenir nos liens. Savoir prendre soin de ces liens. Votre famille, vos amis, vos collègues. Même en petit nombre c’est possible !

Dans “malaise dans la culture”, Freud met en évidence le « mal être » qui provient bien souvent d’un défaut de relation, ce défaut de relation qui provient autant d’un excès de fusion que d’une absence de lien.

Le psychanalyste et philosophe Miguel Benasayag nous dit « nous sommes que liens. Avec notre famille, nos amis, notre environnement »

Le lien ? Qu’est-il du lien aujourd’hui, puisque tous nos déplacements sont limités ?

Le lien peut être recherché, car nous sommes seuls dans nos espaces, mais nous avons pour certains un peu ralentis, donc peut-être un peu plus disponibles aux autres. Un peu obligé d’adopter la « slow life » de prendre le temps de ne rien faire, flâner et rêver. Cette disponibilité peut nous rendre plus réceptif  à l’autre.

Boris Cyrulnik précise  « on a besoin des autres pour devenir soi-même. Notre tranquillisant naturel, c’est une bonne relation, un bon lien », il explique que lorsqu’un être vivant est privé de l’altérité, son cerveau n’est plus stimulé, et si ça dure trop longtemps, on voit apparaître des zones d’atrophie cérébrale.

Le lien, en premier lieu avec vos commerçants, ces confinements et couvre-feu ont été l’occasion de mieux les connaître et de respecter nos commerçants, prêts à nous livrer. Pour certains, cela restait leur seul lien social.

Et plus que jamais l’importance du  lien avec vos voisins ! Ceux qui habitent près de chez vous ! La vie change lorsque l’on connaît les personnes qui vivent à côté de nos appartements, c’est une expérience unique… que je vous recommande. Ces voisins deviennent votre famille. Il y a forcément quelqu’un qui habite près de chez vous et qui pourrait être votre ami.

Avec mes voisins, nous avons créé un club nommé le « club des 6 », de voisins, on s’envoie articles, musiques, poèmes, on parle expériences, voyages, on fait des jeux, on s’invite au restaurant chez nous… même après le couvre-feu ! Nous avons aussi écrit notre journal du confinement.

 Nous avons toujours respecté les consignes de distance. Tant que l’on ne savait rien, on se parlait de part et d’autre de la rue. Puis lorsque nous avons pu être testés, nous nous sommes vus, nous savions que nous ne voyions pas d’autres personnes si on se voyait… etc. Cela a été une formidable respiration, la liberté, l’amitié et le partage. En somme une famille ! Je les en remercie tous les jours.

Les applaudissements aux fenêtres à 20 h, quelle expérience collective : être aux fenêtres et applaudir les soignants, les éboueurs, tous ceux qui étaient là pour travailler pour nous. Nous qui sommes protégés, à l’intérieur de nos appartements et maisons.

On pouvait se sentir unis avec des inconnus aux fenêtres, et rencontrer dans la rue les personnes que l’on ignorait jusqu’à là et sourire.

J’ai bien conscience que cet engouement a bien des limites : combien de soignants espéraient autre chose que des applaudissements ? Ils ont été pourtant une forme de reconnaissance partielle, mais aussi l’occasion d’être ensemble symboliquement.

2 – La beauté, la créativité, l’imagination, l’humour… de manière active ou passive, invitons/inventons chaque jour un bout de beauté dans votre vie.

Quelle que soit sa forme, le beau a un droit de cité dans votre vie : auteur ou spectateur !

Le spectre est large : un bouquet improvisé, une poésie, une jolie table, un beau livre, une fleur à observer, une poésie, une musique! Tout ce qui est beau. Vivre l’expérience de la beauté au quotidien ! Se dire aujourd’hui à quel moment j’ai été exposé à la beauté ? Apprécier une chose simple…

Durant ce confinement, une patiente qui a écrit  une nouvelle « transhumance » ! Un bijou de poésie. (Me demander le lien)

Un patient a écrit les plus belles chansons de sa vie, exilé dans le sud.

Une femme qui avait peu de ressources, elle a rangé chez elle avec une harmonie incroyable, ses tiroirs étaient des œuvres d’art.

Jean Louis Fournier, l’auteur de “la grammaire et les mathématiques impertinents”, cet auteur et poète nous dit « les gens qui aiment la peinture, la littérature, la musique ne seront jamais perdus ».

3- le corps en mouvement : indispensable ! Notre corps doit marcher, courir, danser, sauter, respirer dehors si possible, à côté de l’air, à côté de la terre, à côté du vert … si possible

4-Se donner des petits objectifs : en prévoyant d’inviter une amie ce weekend, ma vie est un peu plus normale. En essayant de réserver des projets cet été, c’est une magnifique projection, même si on sait que cela peut s’annuler.

Petite recette magique :

Essayons tout simplement, de voir un peu les autres en respectant les consignes, prenons les précautions qui s’imposent mais il reste indispensable de rencontrer les autres, d’inviter et d’inventer la beauté et de bouger notre corps tous les jours, de faire un petit projet.

Si vous faites cela vous allez l’apprécier et surtout aller mieux, j’en suis sûre. Rien que du bon sens.

Profitons d’être moins exposé à ce monde pour penser notre vie, une pensée qui constitue notre espace psychique.

Nous pouvons arroser le tout avec l’imagination et nos rêves.

Le rêve est gratuit, accessible, et il est la base de toute réalisation… Ne perdons pas cette capacité à rêver.

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